Passer d’un rôle d’expert technique à un rôle de manager au sein d’une entreprise est souvent un défi pour de nombreuses personnes car il s’agit de faire une transition d’un rôle axé sur des compétences techniques à un rôle qui nécessite des compétences en management et en leadership. Si cette transition est désirée, elle peut être abordée avec succès, bien que certains aspects demeurent plus complexes et nécessitent une attention particulière.
Les points forts de l’expert technique devenu manager
Pour ceux qui ont fait le saut, certains éléments peuvent faciliter la transition :
- Connaissance de l’activité. L’expert technique possède une compréhension approfondie des défis techniques rencontrés par son équipe, ce qui lui confère instantanément une crédibilité.
- Gestion de projets techniques. La capacité à communiquer efficacement sur des concepts complexes et à soutenir l’équipe dans son développement professionnel est un atout précieux.
- Appui du réseau professionnel. L’expert peut partager son réseau pour aider son équipe à résoudre des problèmes techniques et initier ainsi le processus de délégation.
- Connaissance de l’équipe. Si l’expert évolue au sein de son ancienne équipe, il a déjà une connaissance approfondie de celle-ci.
Les défis du passage à un rôle de manager
- Trouver son positionnement. Quasiment, du jour au lendemain, vous changez de rôle, de posture. Vous n’avez pas toujours conscience de ce qui se passe. En tant qu’expert technique, vous êtes orienté vers la résolution de problèmes et l’excellence technique. En tant que manager, il faut adopter une perspective plus large, plus transversale avec des dimensions stratégiques, relationnelles… Ce positionnement est encore plus acrobatique si vous gardez une casquette d’expert sur des missions. C’est là où il est essentiel d’être vraiment à l’écoute de vos collaborateurs. Quel est son vrai besoin ? de l’expertise ? du guidage pour monter en autonomie en mobilisant ses propres ressources ? Ce positionnement de manager met du temps à arriver.
- Sortir du micro-management quotidien. Le nouvel équilibre, c’est aussi sortir du micro-management quotidien. Vous pouvez être tenté de continuer à vous impliquer dans les détails techniques. C’est normal, vous vous êtes construit sur l’expertise. Difficile de passer tout cela à la trappe du jour au lendemain. Pourtant c’est essentiel pour gagner la confiance de votre équipe. Le reconnaître est un premier pas pour changer votre approche. Le second pas, déléguer les tâches de manière appropriée. Donnez à vos collaborateurs le soutien nécessaire pour prendre en charge leurs responsabilités. Offrez-leur un feedback constructif pour les aider à s’améliorer. Commencez à laisser vivre votre équipe.
- La réflexivité. Elle est définie comme la capacité à réfléchir sur ses propres pensées, actions, motivation, expériences ainsi que leurs implications. Cela implique un niveau de conscience de soi, des autres et des interactions. C’est un moment à soi, un moment précieux pour se voir fonctionner et prendre conscience de ses schémas mentaux et ne pas s’enfermer dans un tunnel.
- Le temps court de l’opérationnel et le temps long du projet. Le manager est le plus souvent un manager opérationnel chargé des opérations quotidiennes, de la gestion des plannings, de la résolution des problèmes immédiats, la coordination des activités et la prise de décisions…C’est le temps court. Il doit aussi inscrire son action dans le temps plus long : donner une vision de ce qu’il veut faire avec son équipe, là où il veut aller afin que les objectifs opérationnels prennent sens et que chacun puisse gagner en autonomie sur le chemin, la direction ayant été clarifiée par le manager.
- La prise de décision. Elle peut se révéler difficile pour plusieurs raisons. D’abord, les défis relationnels. Pour un ancien expert technique habitué à se concentrer sur des tâches techniques, la gestion des relations humaines peut être un défi supplémentaire dans la prise de décision. Autre point, l’élargissement de la portée de la décision. L’expert devenu manager d’équipe est amené à prendre des décisions qui touchent une gamme plus large de domaines, y compris la stratégie d’entreprise, la gestion des ressources humaines… nécessitant une appréhension plus approfondie des objectifs globaux de l’organisation et un alignement avec la direction d’entreprise.
Exemple pratique
Le défi de Delphine, cadre de santé : le pari de la transparence pour nourrir la confiance
- Delphine est infirmière de métier. Elle est aujourd’hui cadre de santé. Elle s’est formée au management et manage des équipes opérationnelles de soin soit environ une centaine de personnes. Dans son monde de soignants, la maitrise de l’activité donne la crédibilité.
- Son constat : le pilotage opérationnel au quotidien de l’activité de soin est roulant. Elle connaît les équipes et partage avec elles une culture commune du soin et la passion du métier. Elle porte aussi un projet de restructuration de service avec des déménagements de locaux. Elle constate qu’elle est en situation plus délicate avec des risques de porte à faux dans un système complexe avec de multiples contradictions : non-dits, conflits de valeur, contradictions entre objectifs, tensions relationnelles.
- Son pari : Delphine fait le pari de la transparence avec les parties prenantes pour travailler avec un haut niveau de confiance et créer de l’adhésion pour réussir le projet de restructuration du service, avec l’équipe.
- Ses 4 leviers d’action :
- Prendre le temps – ne pas se précipiter dans le projet : poser le cadre, dire le but, écouter pour clarifier les non-dits, simplifier la complexité pour se poser sur l’essentiel. Rassurer.
- Contourner – éviter les combats inutiles – susciter les conditions de l’engagement des parties prenantes : inclure les équipes de terrain, réfléchir ensemble, ne pas prendre le projet ficelé de la direction à la lettre, lister les blocages existants et les options pour les contourner, identifier d’autres chemins possibles, négocier avec la direction.
- Travailler en toute transparence : dire les choses, donner les contextes des prises de décision, accepter de douter et de partager ses doutes, savoir mettre des limites à des projets voulus par la direction, s’autoriser à dire que le terrain peut avoir des idées à condition de savoir les solliciter.
- Arbitrer en s’appuyant sur ses « valeurs de cœur » afin d’être en toutes circonstances alignées avec elle-même. La force de l’alignement intérieur conforte la crédibilité et la confiance.
Les leçons de cette histoire pour l’expert métier devenu manager : l’histoire de Delphine montre qu’il est très important de cultiver son leadership : écouter son équipe, l’inclure dans les projets, savoir se décentrer en tant que « capitaine » pour laisser chacun prendre sa place, favoriser une culture forte basée sur la confiance car sans confiance il n’y a pas d’équipe. Le leader doit avant tout coordonner la confiance, l’attention et les liens entre les personnes de son équipe.
5 conseils pour réussir la transition
- Se former. Le management ne s’improvise pas. Il est nécessaire d’être formé, d’avoir une boîte à outils. Néanmoins, cela n’est pas suffisant car tous les managers et leaders savent que ce n’est pas l’outil qui fait l’artiste. Ce qui fait l’artiste, c’est son être, sa présence sur scène. En tant que manager, c’est votre qualité d’Être qui donne de la puissance à l’action, à l’équipe.
- Se faire accompagner dans l’action. C’est dans l’exécution que l’on apprend vraiment. L’accompagnement dans l’exécution (par un mentor, un coach…) permet de FAIRE AVEC les personnes dans une situation réelle. C’est plus puissant que la transmission d’un contenu par un formateur. C’est plus puissant parce que vous vous frottez au réel. C’est plus puissant parce que c’est de vous dont il s’agit et non d’un cas théorique. C’est plus puissant parce que vous vivez la situation dans votre corps. C’est plus puissant parce que vous n’êtes pas seul. Vous êtes accompagné par une personne qui ne vous juge pas, qui vous aide à voir ce que vous ne voyez pas dans vos modes de fonctionnement.
- Se centrer sur son équipe, c’est :
- Poser un cadre, animer des routines d’équipes pour créer du collectif et donner du sens à l’action.
- Être à l’écoute en mettant la parole et le ressenti des équipes au centre.
- Responsabiliser l’équipe et chacun des équipiers en tenant compte de l’énergie de chacun.
- Se positionner comme une ressource. Être disponible est crucial. Néanmoins, prenez soin d’intégrer cette disponibilité dans votre gestion du temps court et du temps plus long car vous devez aussi penser à vous et à votre santé.
- Choisir la bonne casquette dans vos prises de parole. Si vous avez une double casquette (expert et manager), savoir quand agir en tant qu’expert et quand agir en tant que manager est crucial pour guider vos collaborateurs de manière efficace. Écoutez et challengez la demande avant d’agir, vous aurez le vrai besoin !
- Cultiver les compétences de leadership. Savoir inspirer, guider, donner du sens, créer les conditions pour que les personnes fassent bouger les choses est plus performant pour aider son équipe vers le succès à long terme. Toutefois, ce n’est pas toujours possible dans toutes les organisations. Certaines cultivent l’autorité et la verticalité. Il est tentant comme le souligne Seth Godin « d’aller à la facilité en voulant le meilleur des deux mondes. De promettre aux personnes de la dignité, du lien et de l’enthousiasme puis de recourir à la discipline pour les amener à ce que l’on attend d’eux ». Mais cela ne fonctionne pas !
En conclusion, la transition de l’expertise au management est un voyage rempli de défis et d’opportunités. En cultivant ses compétences en leadership, en restant à l’écoute de son équipe et en adoptant une approche réfléchie, il est possible de réussir cette transition avec brio.
Un grand merci aux professionnels qui ont apporté leur expérience et leur point de vue ainsi que leur temps précieux sur les thématiques du management, du leadership et du développement humain des équipes : Arnaud Caupenne, médecin, directeur des actions médicales – AFM Téléthon ; Delphine Le Méec, ingénieure en économie sociale et solidaire ; Pascal Lumeau, DGA Service technique – Sables d’Olonne Agglomération ; Eric Mourot, directeur associé du cabinet d’ingénierie technique Espélia ; Joël Pannetier médecin, vice-président de CME, Centre hospitalier Le Mans ; Sébastien Plonquet, cadre de bloc opératoire – Polyclinique Saint Laurent ; Régis Soenen, directeur d’une agence d’ingénierie technique du CEREMA ; Delphine Robuffo Giordano, cadre de santé, Hôpitaux privés Rennais.