Le 22 novembre dernier, j’ai animé un webinaire sur le thème : « Passer de l’excellence technique à l’excellence managériale, une transition à enjeu ». L’événement a rassemblé une vingtaine de professionnels, prêts à relever le défi de passer de leur rôle d’expert technique à celui de manager, avec des questions sur comment réussir cette transformation et où mettre son énergie afin de ne pas s’épuiser. L’idée de ce webinaire est née de nombreuses conversations avec des experts techniques devenus managers ou aspirant à le devenir. Ces échanges révélaient une constante : la volonté de contribuer à un travail porteur de sens, au-delà des seules exigences techniques ; et un défi de taille comment l’incarner ? Pour toutes ces personnes, manager n’est pas un titre. C’est une responsabilité et au cœur de cette responsabilité, il y a les équipes et leur fonctionnement. Être un manager efficace implique de diriger son attention et son énergie non plus vers les tâches, mais vers les personnes et les relations au sein de l’équipe.
Durant cette session, nous avons exploré :
- Les pièges à éviter dans cette transition.
- Où mettre son énergie pour devenir un manager centré sur son équipe ?
- Des cas concrets pour illustrer les stratégies efficaces.
1. Les pièges à éviter : comprendre les obstacles du passage à la posture managériale
le refuge dans la technique
Le premier piège, particulièrement courant chez les experts techniques devenus managers, est la prise de refuge dans la technique. Ce comportement consiste à continuer à s’appuyer excessivement sur son expertise technique pour résoudre des problèmes, au lieu de déléguer ou de mobiliser l’intelligence collective de son équipe.
Pourquoi est-ce un problème ?
Se réfugier dans la technique quand on est un manager empêche l’équipe de se développer et limite son autonomie. Ce type de manager finit par devenir un « super-expert » consulté pour tout, et qui échoue là où il est attendu, permettre à ses collaborateurs de se développer. À terme, cela peut générer frustration et désengagement au sein de l’équipe.
Le micro-management
Le second piège est le micro-management, une pratique où le manager contrôle de près chaque détail des activités de son équipe. Bien qu’animée par des intentions de qualité ou de perfection, cette approche freine l’autonomie et l’engagement des collaborateurs.
Les causes sous-jacentes :
- la difficulté à déléguer,
- la difficulté à faire confiance.
Des solutions pour éviter ces pièges :
- développer sa confiance en soi,
- adopter une posture d’écoute,
- se concentrer sur le rôle « d’accompagnateur », plutôt que sur celui de technicien ou de contrôleur.
Au cours de l’échange, les participants ont ajouté d’autres points de vigilance importants pour réussir le passage de l’excellence technique à l’excellence managériale : être formé au management ; avoir vraiment envie de manager et se sentir en capacité ; savoir être flexible pour endosser des postures différentes ; être respectueux des personnes et attentif à créer un climat pour se dire les choses en toute transparence mais toujours dans le but d’améliorer le contexte, le process de collaboration, maitriser l’art de dire non dans un contexte professionnel
2. Où mettre son attention et son énergie ?
Construire l’équipe
Un bon manager ne se concentre pas uniquement sur les individus. Il se concentre aussi et surtout sur les liens entre eux, créant une cohésion qui favorise la collaboration et la performance. Michel Goya, historien militaire, le résume bien : « « Aligner des hommes compétents ne suffit pas, il faut les coudre ensemble. »
Pour réussir, il faut aller au-delà des compétences visibles et investir dans la construction de l’équipe au sens relationnel.
Les cinq fondamentaux du management
- Poser un cadre clair
Définir les règles du jeu, les rôles de chacun et instaurer des règles de collaboration et de prise de décision. Un cadre bien défini limite les ambiguïtés et permet à l’équipe de mieux réussir ensemble. - Fixer des objectifs SMART
Les objectifs doivent être spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporellement définis. Ils orientent l’équipe et fournissent une vision commune. - Animer des routines collectives
Ces rituels (réunions, bilans réguliers) favorisent les échanges et renforcent la dynamique collective. Ils évitent aussi les biais d’attention excessive à certains collaborateurs. - Donner du sens à l’action.
- Créer de l’engagement et responsabiliser
En déléguant et en encourageant la prise d’initiatives, le manager cultive l’autonomie et la motivation de son équipe.
L’écoute : une compétence clé
L’écoute est un acte fort avec une intention, comprendre pour construire des solutions. Les personnes que vous dirigez vous parlent de problèmes à résoudre car elles ont besoin de solutions. C’est là que votre équipe vous attend et votre direction aussi. En tant que manager, votre oreille qui écoute est une oreille orientée solution. Il y a 3 niveaux d’écoute importants à entendre : l’écoute du discours ; l’écoute des émotions qui affleurent sous le discours ; l’écoute du système de croyances qui fait que la personne (ou l’équipe) croit ce qu’elle croit et s’enferme dans ce cadre de croyances. Cette attention permet de comprendre ce qui important pour la personne (ou l’équipe) et de voir là où elle regarde et là où elle ne regarde pas. Ce dernier point mérite que l’on s’y arrête car cette dimension de l’écoute n’est pas facile. Le manager n’y est pas toujours sensible car il n’est pas toujours formé à cette écoute et surtout parce que, vivant au quotidien avec l’équipe, il est aussi dans le problème. D’où l’importance pour un manager de savoir se faire aider dans ces situations à enjeux par un coach qui va l’accompagner à regarder au-delà du problème et à aller chercher des solutions nouvelles là où lui et l’équipe n’ont pas l’habitude d’y aller.
3. Cas concrets : apprendre de parcours inspirants
Cas 1 : Aurélien, manager dans l’industrie modulaire
Aurélien, ancien ingénieur technique, a pris en charge une équipe de 15 collaborateurs. Son principal défi était d’être constamment sollicité pour des décisions mineures, ce qui l’empêchait de se concentrer sur des tâches à forte valeur ajoutée.
Sa stratégie :
Aurélien s’est appuyé sur la technique pour commencer et a instauré des ateliers hebdomadaires d’analyse collective des situations professionnelles. Ces sessions ont permis :
- d’identifier et de résoudre collectivement les problèmes techniques ;
- de développer les compétences et la confiance en soi des membres de l’équipe ;
- de renforcer la collaboration au sein de l’équipe ;
- de développer l’autonomie de chacun dans son périmètre de responsabilité.
Le résultat :
Avec le temps, ces ateliers sont sortis de la dimension technique et sont devenus des moments d’échanges humains, renforçant la cohésion et permettant à l’équipe d’Aurélien de fonctionner de manière fluide.
Cas 2 : Delphine, cadre supérieure dans la santé
Delphine est passée d’une posture opérationnelle à une posture stratégique en tant que cadre supérieure dans un hôpital. Au niveau opérationnel, le management de l’activité de soin au quotidien est roulant. Au niveau stratégique, elle constate qu’elle est en situation plus délicate sur un projet de restructuration de services avec des déménagements de locaux et de réaffectation de personnels, avec des risques de porte à faux avec son équipe. Pour elle, « être soi » est une valeur forte dans toutes les circonstance.
Ses actions clés :
- s’autoriser à requestionner le projet avec le codir ;
- inclure les équipes de terrain dans le débat en précisant clairement le sens du projet, le périmètre d’action du possible et en laissant ensuite l’équipe agir ;
- travailler en toute transparence avec les parties prenantes : dire les choses, clarifier les non-dits, donner les cadres de décision ;
- arbitrer en s’appuyant sur des arguments techniques et sur ses valeurs de cœur.
Le résultat :
En cultivant une culture d’équipe forte basée sur la confiance, Delphine a réussi le dialogue entre le codir et le terrain, dialogue essentiel dans la réussite du projet. Elle nous apprend aussi que c’est en « réussissant avec soi-même » que l’on réussit avec les autres.
4. Par où commencer ? Passer à l’action
Pour entamer cette transition, voici quelques étapes pratiques :
- Prendre la température de votre équipe : Évaluez la dynamique actuelle et identifiez les besoins non exprimés.
- Appliquer une technique concrète : Par exemple, le « bilan de fonctionnement » de l’équipe pour faire le point sur ce qui va bien et ce qui va moins bien. Cette démarche appliquée avec méthode et à rythme régulier (3 fois par an) offre un temps de respiration à l’équipe et permet de résoudre de nombreux problèmes. Elle permet aussi à chacun de comprendre le cadre de référence de l’équipe et celui de chacun de ses membres.
- Prioriser les actions à forte valeur ajoutée : Concentrez votre énergie sur les initiatives qui auront le plus d’impact sur la cohésion et la performance de votre équipe.
Conclusion : l’aventure managériale commence par soi
Passer de l’excellence technique à l’excellence managériale est une transformation profonde, qui nécessite à la fois des compétences nouvelles et un travail sur soi. Il s’agit avant tout d’une aventure humaine, où la clé du succès réside dans la capacité à coudre ensemble les compétences (y compris les vôtres).
Bruno Le Corre « Je coache les experts métiers devenus managers »